Épisode 1, Une évasion réussie

Quintine habite Ellezelles, petite bourgade nichée au cœur du pays des collines. Les alentours sont marécageux, on y accède par de petits chemins encaissés dans la forêt sombre. La plupart du temps, elle est nimbée de brumes épaisses. Elle maudit les pauvres habitants, se venge sur les vaches et propage la maladie sur les nourrissons. Quintine aime semer la désolation et récolter les larmes amères comme salaire. Elle est crainte par tous et chacun rêverait de l’attraper, de la dépecer à la hachette et de donner les restes aux cochons.

Un jour, alors qu’elle venait de ravager les récoltes de patates et après avoir fait sabbat toute la nuit avec les autres sorcières de la contrée, diablotins en tout genre, loup-garou et Belzébuth en personne autour d’un grand feu, Quintine est épuisée. Elle est ivre de vin de messe et après avoir défroqué le curé du village, elle s’écroula sur sa paillasse crasseuse. Ce pauvre curé était très apprécié par ses ouailles et sa mésaventure ne laissa personne indifférent.

Le lendemain, le soleil à peine levé, Quintine est tirée du lit par une foule de villageois vengeurs. Elle est conduite chez le maïeur du bourg qui ordonne que l’on tienne procès.

Pour la sorcière, pas de demi-mesure. Elle doit avouer ! Elle est rasée, piquée, marquée au fer rouge. Épuisée, Quintine abdique devant les magistrats et avoue. Ni une, ni deux, la voilà condamnée pour sorcellerie. Elle sera exécutée par la corde et les flammes.

Dans sa cellule, Quintine sait qu’elle doit se carapater en vitesse. Les villageois dressent déjà le bûcher, la mise à mort aura lieu demain au coucher du soleil. Ils chantent et dansent, demain Quintine ne sera plus qu’un tas de cendre que l’on pourra disperser aux quatre vents jusqu’en enfer. Que Belzébuth récupère sa servante écarlate.

La nuit, Quintine est agitée, elle tourne et se retourne au point que le cliquetis des chaînes qui l’entravent empêche les habitants de la prison de trouver le sommeil. Observée et surveillée et entravée, elle ne peut exercer son art sombre. Les incantations et la magie noire exigent, pour fonctionner, d’être seule. Que faire, comment échapper au bûcher ?

Quintine se calma, elle commence à réfléchir et petit à petit, les idées se font plus claires. Elle classe, élimine des centaines d’idées. Aucune ne fonctionnera jusqu’à l’illumination. Mais bien sûr ! Elle le connaît ! Ce maudit gardien, c’est Jean V, l’homme le plus gentil et pieu du village. Elle tua ses poules et son veau. Elle a aussi maudit son épouse à la beauté injurieuse pour la rendre laide comme un pou et repoussante comme la peste. Et pourtant, rien n’y a fait, plus elle le tourmentait, plus il priait et la pardonnait. C’est son échec le plus cuisant, jamais elle ne réussit à le pousser dans les bras de Satan. C’est pour cette raison que le juge lui confia la lourde charge de garder la prison. Il sait que s’il quitte Quintine des yeux, elle en profiterait pour s’évader.

Jean V est curieux, il sait que demain, au crépuscule, sa prisonnière ne serait plus. Il veut percer le secret de la méchanceté de Quintine. Il veut connaître la motivation profonde de la sorcière. Il n’y a rien à faire, elle doit se livrer avant de crever ! Avec de la ténacité, de la gentillesse et des prières, il ouvre son cœur. La sorcière se laisse attendrir et contre toute attente, ils devisèrent toute la nuit, d’un côté la candeur et l’innocence, de l’autre, la noirceur et la vilenie.

À l’aube, quand le ciel commence à se teinter de rose, Jean décide de détourner le regard. Il connaît les conséquences de son geste. La sorcière, en un clignement d’œil, disparaît dans un miaulement glaçant en guise de remerciement. Est-ce que la bonté de Jean sera récompensée ?

Quintine ne sera pas brûlée ! Encore une fois, le Malin est venu à son secours. Le matin, le Maïeur, les magistrats et le curé trouvent une cellule vide. La peur et la confusion s’emparent des édiles. Que va dire le peuple ? Ils avaient promis une belle exécution, la paix et la prospérité et ils vont devoir faire face à la vengeance de Quintine et du peuple. Il va falloir sauver la face sinon la foule va les poursuivre avec fourches et fléaux. Le Maïeur pense immédiatement à la remplacer sur le bûcher. Mais qui pour prendre la place de Quintine ? Sa laideur n’est pas commune sauf pour une personne du bourg. La femme du gardien. Il l’a bien cherché, c’est lui qui détourna le regard. Il doit être puni, sa laide femme sera brûlée. Elle n’effraiera plus les enfants et chacun y trouvera son compte. Et puis, qui pour plaindre ce pauvre Jean ? Il ira prier un peu plus à la chapelle ! L’affaire est entendue, on éloigna Jean quelques heures du village et son épouse disparut à la place de Quintine sur le bûcher. Ainsi disparut Quintine d’Ellezelles, plus personne ne la vit, elle prit la voie des airs avec son balai et son chat noir. On ne le sait pas encore, mais Quintine ne perdra pas une occasion de semer le chaos et la désolation sur le chemin de son exil.

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